Mariage de Iermann
Le lendemain du mariage de Diyar, nous assistions à celui de Iermann, notre gentil chauffeur !
Il y a à peine un mois, il nous annonçait son intention d'épouser sa petite amie. Ici les choses se font vite : un peu de pression familiale par-ci (Iermann a 28 ans, pile l'âge pour convoler ici), un zeste de convention sociale par-là, et un mariage initialement prévu pour l'année suivante se retrouve programmé en quelques semaines.
Il était je dois dire un peu paniqué de devoir organiser tout cela en un laps de temps si court. Heureusement, les familles respectives des fiancés s'en sont chargées. Iermann et Aigul, l'heureuse élue, n'avaient plus qu'a se laisser porter dans le marathon de trois jours (oui, trois jours de festivités !) qui constituait leur mariage.
Le vendredi et le samedi, ils ont d'abord fait la fête dans le village natal d'Aigul, à 250 kilomètres d'Almaty. L'employeuse d'Aigul était alors de la partie. En fait, Iermann a rencontré Aigul il y a un peu plus d'un an chez l'épouse Kazakhe d'un Japonais, en réalité sa cousine, chez qui elle travaillait, et qui était amie avec la femme de notre prédécesseur. (Vous suivez ?)
Le dimanche était réservé à la fête à Almaty, et au mariage proprement dit.
C'était organisé à plus d'une heure de route de la ville, pour une cérémonie beaucoup plus traditionnelle m'a-t-on expliqué. Et en effet, on débarque à la campagne, avec pour tout décor des champs brumeux et un petit hameau.
Comme la veille, on attend plus d'une heure avant que les mariés n'arrivent...
A vrai dire, nous ne nous attendions pas à un tel accueil. En tant qu'étrangers, nous avions plutôt l'intention de nous faire discrets et de nous planquer dans un coin, ne sachant trop comment prendre part à cette fête. Raté : le père de Iermann était ému aux larmes que nous soyons venus (qu'est-ce qui a pu lui faire croire qu'on ne viendrait pas, je me le demande encore !), et nous a intronisés invités d'honneur.
Le père de Iermann, donc, avec Shingo. Un ancien soldat manifestement handicapé par une vieille blessure, très bavard (Iermann nous a appris par la suite qu'il avait déjà bu beaucoup de vodka avant notre arrivée), très émotif et très attachant... aussi !
Personnellement je trouve qu'il ressemble plutôt à sa mère, une dame qu'on a trouvée très distinguée et qui est sans doute à l'origine de l'excellente éducation de son fils, troisième enfant d'une fratrie de quatre.
La marche à suivre était simple, enfin en apparence : participer à tout (donc aller danser à chaque intermède musical), faire la prière musulmane avant chaque plat avec tout le monde, et rester jusqu'au bout. Heureusement, quelques collègues de mon mari étaient là pour nous traduire les propos de nos hôtes du kazakh à l'anglais.
En fait, l'ambiance était décontractée : nul besoin d'attendre les autres invités pour commencer à manger et à boire, ceux qui étaient là commençaient déjà à se servir, les tontons entonnaient des airs traditionnels en s'accompagnant au dhombra et les cousines dotés d'un brin de voix se faisaient un karaoké avec la sono louée pour l'occasion.
Puis les mariés sont arrivés, il y a de nouveau eu l'appel des invités pour récolter de l'argent et finalement soulever le voile de la mariée, un voile apparemment traditionnel cette fois-ci, que curieusement d'autres femmes dans la salle portaient aussi mais noué sur la tête (c'est certainement une étoffe conçue pour les grandes occasions) :
On ne le voit pas sur la photo, mais le voile est retenu par un petit môme de deux ans à peine qui l'a fait tomber à plusieurs reprises en laissant tomber le bâton trop lourd pour lui. La mariée avait le plus grand mal à garder son sérieux...
Le pauvre Iermann, qui m'a avoué un jour être tellement timide qu'il n'arrivait pas à parler en public, a dû pas mal forcer sa nature ce soir-là. Et pour cause : l'animateur a pris un malin plaisir à jouer avec sa gaucherie, qui semblait réjouir l'assistance. Il a inventé un petit jeu où les mariés placés dos à dos devaient répondre à des questions : si la réponse était bonne, ils pouvaient se rapprocher d'un pas, si elle était mauvaise, ils devaient s'éloigner d'autant. A la fin du premier questionnaire, l'un s'était retrouvé du côté de la porte et l'autre du côté de la fenêtre... Il y avait des questions du genre :
- Quel petit nom donnez-vous à votre fiancée ?
Réponse inoubliable de Iermann :
- Ben, je suis chauffeur alors je l'appelle mon petit siège, mon embrayage, mon accélérateur...
Quand on a demandé à Aigul comment elle l'avait séduit, elle a répondu sans hésiter que c'était avec sa cuisine.
Pendant ce temps, nous mastiquions notre dîner avec ardeur. Il y avait un beshbarmak préparé par les mères et les tantes des mariés. Elles avaient aussi fait elles-mêmes toutes les pâtisseries (pour environ 200 personnes !).
Mais le moment fatidique que nous redoutions est arrivé : ayant été promus invités d'honneur, nous y avons eu droit... à la tête de mouton.
La fameuse. Celle dont on dit qu'il faut manger les yeux, la meilleure partie paraît-il. Mon mari commençait à être dans ses petits souliers, mais quand la tête est arrivée, nous avons été soulagés de constater que les orbites ne s'y trouvaient déjà plus. Le père de Iermann nous a expliqué qu'il les avait offertes aux personnes les plus âgées de la salle, pensant qu'elles en profiteraient mieux que nous (en effet). Ouf !!
Cela dit, il a quand même fallu la goûter, cette tête... On nous a donné un morceau de langue chacun...
Vous remarquerez notre sourire crispé...
Mais j'aime encore plus l'expression du collègue Ilya, tellement sincère qu'elle en est poilante ! :-)))
Après quelques bouchées de convenance, la tête a fini son parcours derrière le rideau, ainsi poliment mise à l'écart par un collègue kazakh.
Pendant le repas, place à la fête... Entre les diverses animations, il fallait danser. Plus on avançait dans la soirée, plus les invités étaient éméchés, et plus ils devenaient, disons, animés. J'étais la seule occidentale de la soirée, une sorte de petite révolution apparemment dans ce milieu rural. Ce qui a eu pour conséquence de m'obliger à danser avec à peu près tous les hommes présents. Il y avait un papy qui valsait vraiment très bien, mais ce fut le seul moment agréable. Plus ils étaient bourrés et plus j'avais envie d'aller me cacher sous la table (ce que j'ai d'ailleurs fait à un moment, poursuivie des assiduités d'un type rougeaud qui me courait derrière dans toute la salle, dans le fou rire général). Sans parler du jeune Russe qui profitait de la moindre occasion pour m'attirer violemment par le bras sur la piste de danse. J'ai lu dans "Au secours pardon" de Beigbeder que c'est une technique de drague classique des Russes ; c'est sa copine qui devait être contente, mais elle regardait tout cela avec un sourire niais (la vodka fait vraiment des ravages dans les soirées du coin). Quant à moi, je trouvais tout ça de moins en moins drôle, surtout par rapport à la mariée.
Mon mari ne pouvait pas faire grand-chose, le pauvre était en effet de son côté monopolisé par toutes les mémés du coin qui se l'arrachaient pour partager une danse. (Son succès auprès d'Hortense Jeannot était sans doute prémonitoire, private joke.)
Nous avons essayé de filer à l'anglaise mais la mère de Iermann nous avait vus venir et nous a barré la sortie : non, non, vous êtes nos invités d'honneur ! On n'a pas osé la décevoir. Il a donc fallu tenir jusqu'à la valse finale des mariés. Iermann est venu en personne raisonner les amis et cousins qui franchissaient les limites de la décence, et tout s'est arrangé (enfin, à peu près).
Depuis ce jour-là, Iermann arbore donc fièrement son alliance et sa femme. On les croise de temps en temps dans le quartier. Ils prévoient de louer un appartement pas très loin de chez nous. Iermann est tellement apprécié de nos amis qu'il reçoit encore ponctuellement des enveloppes de leur part. Bref, il avait tort de stresser, car le mariage semble lui réussir ! ;-)